dimanche 23 novembre 2008

Vestiges heureux

A quoi la vie se joue-t-elle ? Chacun aimerait le savoir pour peser dans le sens qui lui convient. Mais ce sens n’est que ce qui lui apparaît à un moment donné. Demeure-t-il identique un peu plus tard ? N’aurait-il pas paru stupide, ou insensé un peu plus tôt ? Ou même peut-être aurait-il pu ne jamais apparaître. Mais voilà : il y a la plupart du temps quelque chose qui fait sens, même si cela paraît en même temps incertain, discutable. 

Pour le mettre en scène, imaginons un homme à qui une femme a adressé une déclaration d’amour, déclaration sans équivoque. Il l’assure éprouver pour elle le même feu. Tout cela par lettres. Ou par courriels, peu importe. Le téléphone a pu jouer un rôle. Et ils ont pu se rencontrer auparavant, mais pas depuis cet aveu réciproque.

Les voilà ensemble. Il fait déjà nuit. Ils se retrouvent dans une gare, s’embrassent, un peu gênés parce que surpris que cela ait lieu, alors qu’ils ont tout organisé pour que cela le soit. Avant d’aller à l’hôtel, ils s’arrêtent dans un bar américain. Spacieux, accueillant. Ils se disent l’un à l’autre. Elle avoue avoir failli ne pas venir, à cause de son ancien amant qui ne se résout pas à son abandon. Elle a choisi de venir, de rompre sans laisser d’espoir de retour.

Ils sont dans la chambre. Ils se déshabillent l’un l’autre. Ils prennent tout le temps qu’ils peuvent inventer. Cela ne se reproduira jamais de cette manière. Il n’y a qu’une première fois, même si elle est suivie de nombreuses autres. Il s’est promis de distendre cette nuit, de faire taire l’urgence vécue de la délivrance, de consacrer ses gestes à une découverte aléatoire, patiente, de tous les lieux de son être. Faire au corps de l’aimée un véritable hommage. Ne pas le consommer, faire révérence à la variété de sa sensibilité. Il sera temps de réaliser ce qui matérialise l’unité, la fusion, et conduit à cette perte de soi si désirée. Elle décida qu’il en serait autrement et, après quelques douces et heureuses caresses, le chevaucha.

Le plaisir les avait dompté. Ils parlaient.

« Tu m’oublieras », lui confia-t-il.

Ils s’endormirent. Il se réveilla et jouit d’elle dans son sommeil. Il le crut.

La journée fut belle. Simple. Faite de visites : un Musée des Beaux-arts, un parc, des quais. Un restaurant. Une cathédrale. Un bar, et quelques cocktails. Parfois sans alcool. Le lit les attendait. D’autres découvertes aussi. Sensuelles.

Il caressait cette contrée de sa peau si variée qui va du sein à l’épaule. Doucement, à peine, en insistant plus, avec des mouvements variés. Elle lui demanda, avec ce sourire qui lui ramena sa vigueur qu’elle sentit contre sa cuisse : « Que fais-tu ? Tu as perdu quelque chose ? ». Il attendit qu’elle ait fini de rire de sa plaisanterie qui l’avait fait sourire lui aussi. « Je veux que mes doigts gardent la mémoire de ta peau, de ses quelques grains ici, de cette petite tâche là, de sa douceur partout, du glissé de ton sein, de son appel à baisers. Pour me rappeler de toi, et jouir encore. Pour après. » Ils en rirent. Ils passèrent à un échange pendant lequel l’un et l’autre offrait s’offrant et prenait donnant.

Plus tard, leur deuxième fois s’acheva dans un parc. Ailleurs. Ils se promenaient après avoir été sans retenue dans un autre hôtel. Assis, alors que l’heure du train approchait. Il ouvrit sa valise, en sortit un livre, relié en cuir. « Tiens, je te l’offre pour que tu ne m’oublies pas. Lorsque je serai loin de toi, mais aussi lorsque nous nous serons éloignés l’un de l’autre. Parce que cette distance qui se sera installée ne te fera pas disparaître de moi. Ta main a sculpté mon cœur, il en a la forme. Même s’il en porte d’autres, ou que d’autres s’y imprimeront. La tienne a la beauté. Ce livre parle d’amour. Il est d’une époque très lointaine. Ce qu’il dit a toujours été vrai, et le sera toujours. »

Ils se sourirent. Ils avaient compris.

Elle lui dirait, plus tard, la distance.


1 commentaire:

Lilia a dit…

TRES BEAU TEXTE
Vestiges ou pas ...